par Anne-Marie Guimier-Sorbets
En 1969, dans le cadre du Centre de Recherche en archéologie classique de l’Université de Paris X-Nanterre, René Ginouvès créa un groupe de travail pour répondre aux questions posées par l’« explosion documentaire ». Le succès de l’initiative, qui envisageait la mise en place de systèmes d’automatisation de l’information, fut attesté par la création, au sein l’Université de Paris-Nanterre, du Centre TAAC (Centre de recherche sur les Traitements Automatisés en Archéologie Classique), sous la direction de René Ginouvès.
Le démarche de recherche se focalisa tout de suite sur les problèmes, à la fois théoriques et pratiques, de la construction de systèmes descriptifs, à partir du constat que la description archéologique en langage naturel n’avait pas la régularité nécessaire pour un traitement automatisé, mais que des langages documentaires trop artificiels ne seraient pas adoptés par les archéologues. Dès cette époque, le Laboratoire entreprit la réalisation d’ouvrages destinés à régulariser le langage de la description archéologique, même indépendamment de toute application informatique, Dès 1969, R. Ginouvès nous demanda de concevoir un système descriptif de l’ornement géométrique et végétal des mosaïques grecques et romaines qui fut réalisé ensuite en collaboration avec l’équipe d’Henri Stern. Dans la même perspective, R. Ginouvès et R. Martin mirent en chantier, avec toute une série de collaborateurs français et étrangers, un Dictionnaire méthodique de l’architecture grecque et romaine, qui fut après publié en trois volumes.
Mais l’effort principal du Centre porta, dès le début des années 1970, sur la constitution de banques de données en archéologie classique et sur les questions méthodologiques posées par la normalisation du vocabulaire, la délimitation du corpus de données, la détermination de l’unité documentaire, les types et les échelles des caractéristiques, la finesse de l’analyse. En collaboration avec F. Villard et plusieurs céramologues, un projet de recherche fut consacré aux vases grecs, dans le but de proposer un vocabulaire normalisé et multilingue des parties du vase, grâce à des règles de découpage, et d’expliciter les critères permettant de caractériser les formes reconnues par les différents spécialistes du domaine.
Beaucoup d’attention fut donc portée à la description des mosaïques, en particulier en collaboration avec le Centre de recherche sur la mosaïque antique, lorsque, sous la direction de R. Ginouvès, il fut rattaché à l’Université de Paris X-Nanterre et au CNRS. A ce propos, on peut rappeler que les travaux menés en collaboration furent présentés, par J. Christophe et A.-M. Guimier-Sorbets, à Vienne, en 1971, lors du IIe colloque international de l’Association d’Etude de la Mosaïque antique (AIEMA) puis, en 1972 à Marseille, lors du Colloque organisé par J.-C. Gardin sur les banques de données archéologiques : ces communications portaient essentiellement sur l’étude formalisée d’un langage descriptif des mosaïques, en préparation à l’établissement d’une banque de données pour les mosaïques grecques et romaines.
Le Centre s’intéressa donc très vite et de façon pionnière à la réalisation pratique de banques de données et à la recherche de logiciels permettant de prendre en compte la complexité de la documentation archéologique : on cherchait un système capable de reproduire le même degré de richesse que la publication traditionnelle et de relier les informations, sans risque de croisement, à des parties distinctes du document, éventuellement emboîtées les unes dans les autres (comme, pour une mosaïque, la bordure à bandes multiples d’un panneau inclus dans un autre panneau comportant lui aussi une bordure complexe, et lui-même inclus dans un tapis). Une première synthèse de ces recherches fut présentée dans un volume paru en 1978 au CNRS, « La constitution des données en archéologie classique » (Ginouvès, Guimier-Sorbets 1978).
Après l’emploi d’un premier logiciel, SATIN, produit des recherches de l’équipe CNRS de Marseille, le Centre TAAC s’orienta vers l’Ecole des Mines de Paris, dont les besoins descriptifs des entreprises minières étaient, malgré les apparences, de même nature que la description archéologique : en effet l’analyse d’une coupe géologique implique la reconnaissance d’inclusions, sans qu’un schéma puisse en être prédéfini. Et c’est ainsi que le Centre mit en œuvre le logiciel SIGMI, logiciel « autostructurant » permettant d’exprimer par des jeux de parenthèses la structure du document. L’intérêt de cette technique concernait différents domaines de la description archéologique, car le peintre de vases comme le mosaïste peuvent disposer différemment leurs décors, comme l’architecte composer différemment les bâtiments et leurs pièces ainsi que les colonnades. Le logiciel SIGMI, écrit d’abord pour la gamme IBM 370, reçut aussi une version, SIGMINI, destinée aux mini-ordinateurs et aux micros fonctionnant sous UNIX/XENIX.
Grâce à l’expérimentation de ce logiciel, le Centre commença à construire la banque factuelle sur « La mosaïque dans le monde grec, des origines à la fin de l’époque hellénistique », opérationnelle depuis 1980. L’interrogation de la banque, comme l’édition des réponses ou la saisie de nouveaux documents, pouvaient être réalisées indifféremment en français, anglais ou grec moderne. Après, un projet fut lancé de construction d’une banque référentielle portant sur la Photothèque du Centre de recherche sur la mosaïque qui était riche d’un grand nombre de documents.
A côté de ces travaux, le Laboratoire fut très vite invité à aider d’autres institutions qui souhaitaient construire des banques de données : le Centre de documentation photographique et photogrammétrique du CNRS et de l’Université de Paris I, le Centre de recherches byzantines de l’Université de Strasbourg, l’Ecole française d’Athènes, le KERA (Fondation Hellénique de la Recherche Scientifique, Athènes) et le Comité pour la sauvegarde des monuments de l’Acropole d’Athènes (ESMA), le Service archéologique de Jordanie et le Service des Antiquités de l’Egypte. Une réflexion d’ensemble sur ses travaux a été publié par le CNRS dans le volume « Les bases de données en archéologie, conception et mise en œuvre » (Guimier-Sorbets 1990).
Parce que les recherches en archéologie classique ne peuvent guère s’imaginer sans documentation figurée, plusieurs banques référentielles furent aussi destinées à faciliter la consultation de collections d’images. C’est pourquoi le TAAC fut choisi en 1984 par la Direction des Bibliothèques, des Musées, de l’Information Scientifique et Technique du Ministère de la Recherche et de l’Enseignement supérieur pour réaliser un vidéodisque optique à laser, le premier sur l’archéologie, rassemblant de vastes collections d’images accessibles non seulement à partir d’un catalogue imprimé, mais aussi à partir de trois banques de données déjà constituées auparavant. La sortie du vidéodisque en 1986 fut accompagnée par la publication d’un fascicule intitulé « Images de l’archéologie. Vidéodisque ».
La technique analogique était alors la seule qui permettait l’enregistrement et l’appel quasi instantané d’un nombre de figures allant jusqu’à cinquante mille par face de disque. La conception de systèmes d’information multimédia, gérant à la fois des bases de données, des textes numérisés, des photographies et des dessins, entra donc dans la recherche archéologique. Il s’agissait aussi de réaliser, à partir d’un même ensemble de documents, divers systèmes d’information destinés à des publics différents (chercheurs, étudiants, public des musées et des sites archéologiques), en impliquant différents types d’exploitation et de consultation et mettant en œuvre, outre des logiciels de bases de données, des logiciels « hypermedia » et des logiciels de traitement du langage naturel.
VMAC – 2017